Il y a exactement cinq ans, les parents des détenus libanais dans les geôles syriennes ont dressé une tente dans le jardin Gibran Khalil Gibran, face à l'Escwa, au centre-ville. Depuis cinq ans, ils se relaient jour et nuit espérant que les autorités libanaises leur prêtent une oreille attentive. En vain.
Depuis quinze, vingt, voire trente ans, les parents des détenus libanais dans les geôles syriennes attendent des nouvelles de leurs bien-aimés. Au début, ils espéraient les revoir vivants. Avec les années, ils ne veulent plus que savoir s'ils sont vivants ou morts. Mais le temps qui passe ne leur fera pas baisser les bras.
Hier, pour marquer le cinquième anniversaire de leur sit-in pacifique au centre-ville, ainsi que pour marquer les trente-cinq ans de la guerre, une cérémonie a été organisée face à la tente dressée devant l'Escwa.
Hier, au jardin public Gibran Khalil Gibran, des dizaines de proches de détenus libanais dans les geôles syriennes sont venus portant des portraits qui datent notamment des années quatre-vingt-dix, quatre-vingt et soixante-dix. Il y avait aussi des parents de personnes enlevées durant la guerre par des milices libanaises. Au cours de la cérémonie, les personnes présentes ont appelé à la mise en place d'une commission d'enquête sur le sort de tous les disparus durant les événements du Liban.
Il y avait aussi des non-Libanais dont les proches avaient été enlevés par le régime syrien. Il y avait notamment des Kurdes brandissant une banderole appelant à la libération de tous les détenus kurdes et arabes dans les prisons syriennes.
Il y avait également un ressortissant égyptien, Mohammad Khaled, qui vit depuis trente et un an au Liban et dont le frère avait été enlevé à Damas en 1986.
Parmi les Libanais, il y avait le neveu et la nièce du père antonin Albert Cherfane, supérieur du couvent de Deir el-Qalaa dans le Metn, enlevé le 13 octobre 1990 avec le trésorier du couvent le père Sleiman Abi Habib.
« Mon oncle était musicien, il composait des chants religieux. Il avait 55 ans quand il a été enlevé, il doit en avoir 74 aujourd'hui », indique Fady, le neveu du père Cherfane. « Nous sommes sûrs qu'il est en Syrie. D'anciens prisonniers, libérés des geôles syriennes, nous ont raconté qu'ils l'avaient vu », indique Thérèse, la nièce du religieux. Tous les deux espèrent revoir leur oncle vivant.
Karim Abbas brandit le portrait de son fils Ahmad, enlevé à Mreijé, à Beyrouth, en 2001. Il avait 21 ans. « Des témoins m'ont dit que les Syriens l'avaient arrêté », dit-il.
Jeannette porte le portrait de son fils César enlevé à Beyrouth en 1984. « J'ai su qu'il était en Syrie, mais je ne l'ai pas vu depuis 26 ans », dit cette septuagénaire originaire de Bisri au Liban-Sud. « Mon fils avait quitté le village ce jour-là pour présenter une demande de visa pour l'Allemagne. Il n'est plus jamais rentré », dit-elle.
Odette Salem
Parmi les personnes présentes, il y a Nadia Adib, une femme qui ressemble étrangement à Odette Salem. Odette avait deux enfants détenus en Syrie : Richard et Christine ; ils avaient été enlevés à Hamra, non loin du City Café, en 1985.
Odette Salem était parmi les premières femmes à militer durant les années quatre-vingt-dix dans l'espoir de retrouver un jour ses enfants. Odette est décédée l'année dernière. Elle avait été fauchée par une voiture alors qu'elle traversait la chaussée pour rejoindre la tente du centre-ville où elle assurait des permanences presque quotidiennes.
Nadia Adib est la sœur d'Odette. « Odette n'est plus là. Alors je viens souvent au sit-in, comme elle le faisait. Ma sœur est morte sans jamais revoir ses enfants. Je poursuis le travail qu'elle a entamé. Je ne baisserai pas les bras, je veux savoir si mes neveux sont vivants ou morts, et s'ils sont morts, je veux récupérer leurs corps. »
Lors de la cérémonie, plusieurs personnes ont pris la parole.
L'ancien ministre Damien Kattar a parlé de son expérience, notant que lui-même avait été enlevé durant la guerre, mais qu'il a eu la chance d'être libéré et de revenir à ses parents.
C'est également son expérience personnelle que l'ancien ministre Georges Corm a évoquée quand il a rendu hommage à tous les disparus, spécialement à son oncle Albert porté disparu durant la guerre.
Le député Ghassan Moukheiber a appelé, de son côté, l'État à agir, notant que le gouvernement a peur de plancher sur le dossier des détenus et des disparus. Il a indiqué que le sit-in des parents des détenus libanais dans les geôles syriennes est probablement le plus long dans le temps au Liban, au Moyen-Orient, voire dans le monde entier. Il a également souligné la nécessité de mettre en place une commission d'enquête sur le sort de tous les disparus libanais durant la guerre.
Wadad Halawani, présidente du Comité des parents des disparus, a également évoqué le même thème, relatif à la création de la commission.
Partant de son éducation chrétienne, Assaad Chaftari, ancien adjoint d'Élie Hobeika, a encore une fois fait son mea culpa en évoquant les atrocités de la guerre. Il a indiqué qu'il est prêt à aider afin que les parents des disparus puissent un jour connaître le sort qui a été réservé à leurs proches. Il a souligné que le temps presse et que le travail de mémoire devrait être effectué avant que ceux qui sont responsables des enlèvements et des disparitions ne soient trop vieux pour se souvenir...
Ghazi Aad, président de Solide, a appelé à la mise en place d'une commission d'enquête sur le sort de tous les disparus libanais durant la guerre. Il a présenté brièvement le travail effectué par Solide. Il a également défié les responsables libanais de nier l'existence de prisonniers libanais dans les geôles syriennes.
Julia Kassar est actrice. Elle a pris la parole pour rendre hommage à Odette Salem. « Pour le cinquantenaire de l'indépendance du Liban, en 1993, j'avais incarné son rôle dans une pièce de théâtre mise en scène par Roger Assaf. Un soir, elle est venue au spectacle. Quand j'ai fait sa connaissance, j'ai su que son calme et son sourire étaient plus forts que toutes les colères et les larmes », a-t-elle souligné en conclusion.
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9 years ago
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